La reliure, un art d'exception
Depuis son origine, la bibliothèque a bénéficié de la générosité de grands donateurs. Parmi eux, Calixte Cavalier en 1888 et Frédéric Sabatier d’Espeyran en 1965, ont offert à la Ville leurs riches collections composées avec amour, goût et compétence.
Simple protection du livre, la reliure peut devenir un écrin pour celui-ci. Elle est une création à part entière alliant l’art à un artisanat d’exception. Pour contribuer au soutien de ceux-ci, la médiathèque fait régulièrement des commandes à des relieurs d’art.
Nous vous invitons à un petit tour d’horizon de cet art majeur encore bien vivant.
Des usages de la reliure
La reliure est, en tout premier lieu, une protection pour le livre. Modeste ou pourvue de décors pouvant être luxueux, elle va suivre l’évolution des arts décoratifs et lier l’art au métier.
On ne sera pas surpris de trouver, au XVIIIe siècle, une rubrique consacrée à la reliure dans la célèbre Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, ainsi que dans les Descriptions des arts et métiers, faites ou approuvées par messieurs de l'Académie royale des sciences.
Pour les reliures courantes, on utilise le plus souvent le parchemin ou la basane. À partir de la fin du XVIe siècle, le titre apparaît au dos et se généralise. Au XVIIe siècle, les dos à nerfs sont très décorés : les compartiments s’ornent de fers en losange, au centre, et de fers triangulaires, dans les angles. Au XVIIIe siècle, les dos peuvent être à nerfs ou longs (les nerfs ne sont alors pas apparents) et les décors sont essentiellement végétaux : fleurs, chardons, grenades…
Les reliures d’amateur sont en veau ou en maroquin. Les décors des dos sont de même type que ceux des reliures courantes. Sur les plats, on trouve souvent des encadrements de filets et éventuellement les armes du possesseur.
Portrait d’un donateur : Frédéric Sabatier d’Espeyran
Après une carrière de diplomate à Saint-Pétersbourg et à Londres, Frédéric Sabatier d’Espeyran partage sa retraite entre Montpellier, où il gère sa propriété viticole, et Paris, où il s’occupe de sa bibliothèque. Il s’est passionné tout au long de sa vie pour les beaux livres de son temps et il va léguer 668 volumes (dont près de 200 reliés) à la bibliothèque de Montpellier. L’importance de cette collection va étonner bien des gens lorsqu’elle sera dévoilée au public en 1966.
On y rencontre tous les grands artistes du XXe siècle : Bonnard, Braque, Chagall, Dali, Derain, Dufy, Dunoyer de Segonzac, Maillol, Matisse, Picasso, Rouault, Villon et tant d’autres…
Pour lui, l’illustration passe avant la reliure mais il achète, en 1962-1963, un certain nombre de livres dont les reliures sont signées par les plus grands noms de cette première moitié du XXe siècle : Marius-Michel, Semet et Plumelle, Pierre Legrain, Paul Bonet, Georges Creuzevault, Georges Cretté, Pierre-Lucien Martin, Germaine de Coster et Hélène Dumas…
C’est donc un ensemble vraiment significatif de l’art du livre qui vient enrichir les fonds patrimoniaux de la bibliothèque de Montpellier.
De quel genre, votre reliure ?
Reliure fleurie
Les velours et brocarts sont parfois encore utilisés pour les reliures de luxe. On en a ici un exemple avec cet ouvrage qui entre dans la bibliothèque du peintre François-Xavier Fabre en 1812. Cuir de ton pastel, encadrements contrastés et bouquets peints au centre des plats habillent cette édition de poèmes.
Reliure fleurie sur Poems d'Oliver Goldsmith & Thomas Parnell
Reliure à la cathédrale
A partir de 1821, le baron Taylor et Charles Nodier publient les Voyages pittoresques et romantiques dans l'ancienne France. Ils y affichent une prédilection pour le Moyen Âge, période négligée jusque-là, qui va alors connaître une grande vogue. On redécouvre les beautés de la France et on manifeste un vif attrait pour l’art gothique. Les relieurs vont suivre cet engouement et la plupart des ateliers de l’époque vont exécuter des reliures à la cathédrale qui s’inspirent de l’architecture : façades, arcatures, portiques, rosaces… Les plaques à gaufrer jouent un rôle important dans leur réalisation.
Reliure à la cathédrale de Paul-Romain Raparlier sur Notre-Dame de Paris de Victor Hugo
Décors de filets parallèles
Les décors de filets parallèles se poursuivent jusqu’à la fin du XIXe siècle, avec ou sans adjonction de mosaïques. Ils deviennent vite un classique et même une caractéristique de l’époque. Les bibliophiles apprécient leur élégance et certains relieurs, tel Antoine Bauzonnet, s’en font une spécialité.
Reliure d'Edouard Thomas sur Navis stultifere... (La Nef des Fous) de Sebastian Brant
Décors à la fanfare
A la fin du XVIe siècle, les Eve, relieurs du roi, décorent souvent des reliures avec des compartiments limités par des filets et garnis de volutes et de feuillages. Rocher Devauchelle, historien de la reliure, nous raconte cette célèbre anecdote : « Ce décor fut baptisé à la fanfare. Mais beaucoup plus tard, vers 1830, parce que le grand relieur Thouvenin recouvrit pour l’écrivain Charles Nodier, dans le style ainsi décrit, un volume de Jean Prévost, imprimé en 1613 : Les Fanfares et Courvées abbadesques des roule-Bontemps de haute et basse Coquaisgne et Dépendances. Nodier, enthousiasmé par la réussite […] décrivit cette Fanfare dans une revue bibliographique de son temps. Le premier mot de l’ouvrage, au titre longuet, fut adopté par tous et servit, par une étrange fantaisie, à baptiser un genre de reliure… de deux siècles antérieurs. »
Reliure à la fanfare de Charles-François Capé sur Gargantua de François Rabelais
Reliure à la dentelle
Pendant une grande partie du XVIIIe siècle, les reliures à la dentelle vont être à l’honneur. Elles se caractérisent par une disposition élargie des fers dans les angles et au milieu des côtés. Filets, volutes, guirlandes, fleurs, pointillés, emblèmes, oiseaux… composent un encadrement de broderie. L’espace central peut recevoir les armes du possesseur. A titre d’exemple, ci-dessous, cette reliure à la dentelle aux armes de Calixte Cavalier, avec sa devise : LABORE et HONORE.
Reliure à la dentelle Pierre Chevannes dit Amand sur Guide de l’amateur de livres à vignette [...] de Henry Cohen
Relieuse des temps modernes : Rose Adler
Rose Adler est une relieuse et une décoratrice du XXe siècle, née le 23 septembre 1890, décédée le 15 mars 1959. Repérée par le couturier Jacques Doucet, grand bibliophile, elle exerce en premier lieu ses talents pour la bibliothèque littéraire du collectionneur. Elle affectionne particulièrement les peaux lisses tel le veau et le parchemin.
Elle fit, comme le maquettiste Pierre Legrain, travailler les meilleurs artisans de l'époque pour réaliser ses créations, dans la lignée (toujours vivante) des relieurs maquettistes.
Pour elle, le relieur est au service du texte : « Il veut l’entendre, le faire entendre. Il l’épouse, il l’exalte. Pourtant il se refuse à la description, car toute description serait une illustration. L’imagination a sa gamme de couleurs et de formes, et c’est tout d’intuition qu’elle rend les échos montés du livre. » Elle dira aussi : « Le relieur doit éviter de se substituer à l’auteur et d’écrire un sixième acte. »
Reliure de Rose Adler sur Le Jardin d'Épicure d'Anatole France réalisée en 1925. Plein veau tabac, plats rehaussés de filets dorés poussés à froid d'épaisseurs différentes, avec incrustations de maroquin brun, l'ensemble évoquant la géométrie d'un antique portique, dos à deux nerfs, titre et nom dorés soulignés de filets, tranches des plats également ornés de filets dorés, plats intérieurs de papier peint original de couleurs verte, doré et brune entourés de deux filets d'épaisseurs différentes, tête et tranche dorées.